Grands-mères
Où je vous explique à quel point je suis jalouse de toutes les grands-mères, pire de toutes les personnes dotées d’une grand-mère (et un rendez-vous)
J’ai vu vos grands-mères, vos yeux qui brillent à l’évocation de leurs mains ridées, des histoires qu’elles vous racontaient que vous connaissez par cœur. J’ai vu leurs maisons, celles, où vous vous cachiez, vos cabanes, le temps lent dans leurs cuisines, pires leurs recettes, et vos doigts dedans puis dans vos bouches gourmandes. Je vous ai vu chantonner cet air qui vous habite, encore. J’ai vu vos chagrins dans leurs bras, épongés, asséchés alors. J’ai vu leurs exclamations de joie devant vos dessins, vos récitations, votre bac, vos photos de vacances, votre arrivée pour le repas du dimanche. J’ai vu tout ça. J’ai bien vu. J’ai vu leurs mains saisir le téléphone, fixe, certaines leur téléphones portatifs où l’on peut écrire des messages - dieu sait comment - répondre à votre appel chaque semaine à la même heure. J’ai vu les parfums qui disent mamie, granny, grand-mère, mamimouchka, maminou, mamidouce - il y en à d’autres je crois - où que vous soyez. J’ai vu les paysages qu’elles ont dessiné pour vous. J’ai vu leur solitude que vous remplissez néanmoins d’une carte postale, d’une lettre, d’une photo. J’ai vous ai vu tourner les pages des albums. J’ai vu votre tristesse qui a fini par arriver un jour comme ça, vous saviez qu’il arriverait mais quand même la tristesse demeure une pluie infinie sur vos épaules. J’ai vu la bague qu’elles vous ont offerte et l’histoire qui encercle votre doigt depuis, la robe dans votre penderie, importable et pourtant la plus précieuse de toute. J’ai vu les jeux qu’elles vous ont laissé gagner et vous le saviez pourtant et vos victoires n’en étaient pas moins délicieuses. J’ai vu comme vous vous souvenez de l’instant où vos mains dans les leurs elles ont dit fais ce que tu veux de ta vie ne laisse personne décider pour toi. J’ai vu vos regards par-dessus leurs épaules pour aider aux mots-croisés, en cinq lettres il y a un U en avant-dernière position et ça ne vient pas. J’ai vu votre bouche dessiner un O doux lorsqu’elles vous racontent la semaine, le marché, la voisine, la Poste où on lui a dit c’est sur Internet madame on va vous envoyez un mail. J’ai vu le bouquet de fleurs que vous lui avez apporté la dernière fois, si vous saviez - vous le savez - comme elle prend soin, rafraîchir les tiges, changer l’eau, ramasser les pétales les mettre à sécher puis dans le livre des recettes aux pages des gâteaux. J’ai vu vos conversations autour de la table, vous parlez plus lentement, vous articulez, vous répétez et vous riez simplement, vos rires préférés sont ceux avec elles, pour elles. J’ai vu comme elles sont vos racines et votre terre à la fois. Oh moi j’en ai des grands-mères mais ce n’est qu’un adjectif accolé à un nom commun. Enfin pas vraiment commun parce que je suis jalouse. J’ai vu mais moi je n’ai rien. D’un côté un vieux rejet de ce qui est l’autre - sa couleur, son origine - qui lui interdit ces petits-enfants innommables de l’autre un continent et de tout ce qui a séparé en plus de la distance. Je n’ai rien que ma jalousie d’ignorer tout ce que j’ai vu chez vous. Ma jalousie de ne pas comprendre ce que de vous je vois. Je me débats sans racine, sans terre, à tenter d’en trouver une où je pourrais planter quelque chose que je ne sais pas. Je suis jalouse de n’être qu’un fruit tombé trop loin de son arbre.
N.B.1 : Rassurez-vous, non-obsessionnelle néanmoins des grands-mères, je suis également jalouse de vos grands-pères, de vos pères, de vos oncles, de vos tantes, de vos cousins, de vos cousines et autres joyeusetés de vos arbres.
N.B.2 : Je suis même jalouse de mes enfants, de comme ils aiment leurs grands-mères, c’est dire à quel point je suis atteinte !
N.B.3 : C’est un peu l’histoire de la fabrique d’une lettre. Nous sommes mardi soir, tard, 18 mars. Je regarde le replay d’une conversation entre
et à l’occasion du 8 mars (à voir ici), elles évoquent les grands-mères, pincement au coeur, comme d’hab alors je m’endors sur les poitrines, lentes, de toutes les grands-mères. Lendemain matin, tôt, j’écris cette lettre (sa première version du moins). Mercredi midi, il y a quelques minutes, je décide de m’offrir de débuter un nouveau livre. Je choisis Sabrina Calvo Mais cette vie-là demande. toujours. plus. de. lumière. Je l’ouvre et là apparaît la dédicace… Il n’y a pas de hasard.N.B.4 : Un peu masochiste, j’aimerais que vous me racontiez vos grands-mères (ou peut-être qui sait vous partagez ma jalousie?!) et pour ça il suffit de cliquer là-dessus :
Un rendez-vous
Si jamais vous vivez à Rouen ou alentours, nous pouvons nous voir ce mercredi 26 mars, à l’occasion de la soirée de lancement de la revue Cracher sur la poésie, pour une lecture d’un texte que la revue a accueilli. Ça se passe à la librairie Les Mots Éphémères, toutes les infos sont ici.
Et je vous laisse à cette semaine, qu’elle soit aussi douce qu’une grand-mère aimée.
Très beau texte Rebecca. De mon côté, je n'ai pas vraiment connu mes grands-mères, elles sont parties quand j'étais petite et elles vivaient loin de moi. Mes parents m'ont eu tard, après 45 ans, et surtout 15 à 20 ans après mes frères et sœur... donc je suis 12 fois tata (et une fois grand tata, pas mal à 35 ans haha). J'ai surtout vu mes neveux et nièces tisser ce lien avec mes parents. J'étais sans doute jalouse moi-aussi. En lisant ton texte, j'ai eu l'image de ma mère et cela m'a ému, elle fêtera ses 81 ans demain. Merci pour ça 😊
Magnifique partage. Moi, j’ai des racines et pas de branche… jalousie dans l’autre sens. Si on se prend dans les bras : on fait un arbre complet ! Je t’embrasse fort