Travail
Où je redécouvre mon rapport au travail, où il n’y aura pas de métaphore de la grenouille
Le travail n’a jamais vraiment été une question dans mon existence professionnelle.
Je vous la fait courte.
Après mes études, en 2000, j’ai tout de suite trouvé du boulot dans mon secteur. Et puis, au fil des années, les opportunités à saisir se sont présentées. Jusqu’à ce que je décide de voler de mes propres ailes. Ma propre activité ! Mon ambition n’était pas financière : elle consistait surtout à pouvoir mieux articuler les différents temps de ma vie. J’ai ainsi pu développer des projets à côté de mon vrai travail — des podcasts (#2050 surtout puis #UTBQC), écrire un livre — mais aussi avoir plus de temps pour moi et ma famille. Tout ça, ça a duré plus de 20 ans. Voyage dans le temps, nous voilà en 2021, au mois de décembre. On m’appelle et je prends le poste de pilotage de Rouen 20281. Jusque février 2024, je m’éclate à bosser sur ce projet européen. Je suis entourée d’une superbe équipe, je dors moins, je voyage beaucoup, j’oublie le concept de congé, notre projet est sélectionné en phase finale. On ne gagne pas. Pour autant, je crois que ces 26 mois restent l’expérience professionnelle la plus intense et la plus belle vécue.
Une page se tourne.
Un peu après mon mari et mes enfants, je dépose mes valises désormais à Toulouse avec une envie : souffler puis rebondir professionnellement. Le défi est triple :
J’ai toujours mon statut de free-lance mais concentrée sur Rouen 2028, j’ai écarté toutes les missions proposées par de fidèles clients pendant plus de deux ans : c’est long
J’arrive dans une région comme terra incognita : je n’ai pas de réseau, je ne connais personne
Bosser en équipe avec Rouen m’a donné envie d’en retrouver une ici : je VEUX trouver un job dans une organisation
Trouver du boulot, c’est dur.
Je sais que trouver du boulot n’est pas chose facile. Désormais je l’expérimente. Dénicher les (rares) offres qui me ressemblent et/ou suscitent vraiment mon intérêt. Réussir à faire valoir mon parcours (un peu) atypique. Recevoir des mails automatiques malgré tout l’intérêt bla-bla-bla. Et à la fois décrocher quelques missions en free-lance histoire de, en attendant que, se faire identifier par.
Trouver du boulot aura été mon obsession de juillet 2024 à avril 2025. Presque un an. À me demander pourquoi tant de temps. À me demander si déjà mon âge (48 à la fin de l’année). À me demander qu’est-ce qui cloche.
Aujourd’hui, 12 mai, c’est le premier jour de mon nouveau taf. Donc l’histoire se finit bien. Mais ce que j’ai appris — désappris — c’est mon rapport au travail. Ce mot est passé de l’évidence à la quête. Et dans ce transfert d’une dimension à l’autre, j’ai vu ce que cela a bougé en moi. Être la nana de la bande qui cherche du boulot, c’était la sensation de celle qui n’a jamais LA bonne nouvelle à annoncer autour d’un verre, lors d’un appel ou sur la conversation de groupe WhatsApp. Repli sur soi. Avant, je ne me définissais pas par mon travail, ce qui comptait c’était le sentiment d’utilité sociale : par le travail mais pas que, loin de là. Durant ces longs mois de recherche, je n’ai pas voulu relancer des projets d’à côté parce que ces projets prennent toujours beaucoup de temps, temps qu’étrangement je n’avais pas alors que sans emploi car mon temps devait être consacré à trouver ce travail. Quadrature du cercle. Je me suis retrouvée coincée dans une quête dont je maîtrisais peu de paramètres, coincée dans une obsession qui se renforçait d’elle-même plus le travail semblait se refuser à moi. Je n’ai jamais aimé cette première question que l’on se pose quand on rencontre quelqu’un tu fais quoi dans la vie — je lui ai toujours préféré qu’est-ce qui te passionne dans la vie — et je n’avais pas envie d’être dans la situation de répondre en recherche…
Finalement.
Faut-il avoir un travail pour être capable de le mettre à distance de soi ? Ou du moins le circonscrire ? Cette étape particulière m’a aussi montré à quel point je tente de compartimenter — circonscrire justement — on me dit régulièrement : tes podcasts c’est du travail ! Écrire c’est du travail ! Sauf que tout ça, je le fais avec la plus grande gourmandise, le plus grand soin mais sans jamais l’intention d’en tirer quelque chose. Le travail est synonyme de gagner de l’argent. C’est sans doute là que je dois encore grandir. Déplacer encore ce mot dans une autre dimension que je ne saurai qualifier ici aujourd’hui. Ma créativité est un travail et pourtant, je n’attends pas d’elle de remplir mon frigo. Je me sens incapable de mettre un prix en face de ce que je crée sans répondre à une quelconque commande. Trop de choses ont un prix (et c’est normal) tandis que je voudrais juste avoir les moyens de faire sans contrepartie. Naïveté dont je n’arrive pas à me départir. On ne se refait pas ? Suis-je définitivement perdue pour ce monde du business model ?
Ce n’est pas que je regarde par le petit bout de la lorgnette. De cette expérience anonyme et insignifiante, c’est aussi l’occasion pour moi de penser, plus riche d’une nouvelle perspective, nos modèles de société, nos rapports aux autres, la place du travail qu’on impose au centre de toute chose et moi qui me sens habitante des périphéries.
Sur ce je vous laisse à cette semaine, en espérant qu’elle vous laisse du temps pour travailler à ce qui vous anime vraiment.
L’info chouette de la quinzaine.
Un de mes textes accompagne une exposition de dessins/peintures de l’artiste Brigitte Grandjean, une série sur le thème de l’exil... Mon texte Trouble que je vous avais livré ici il y a de cela quelques semaines !
Trouble
Le prochain numéro de la revue Pourtant paraît ce mois-ci. Le thème de l’appel à écriture ? Trouble. J’avais soumis un texte, retenu en phase de présélection avec 49 autres (Joie Ô Joie). Malheureusement, il ne fait pas partie de la quinzaine qui donne corps au sommaire définitif (Snif Ô Snif).
J’étais la déléguée générale de la candidature de la ville de Rouen au titre de Capitale européenne de la culture pour l’année 2028. C’est Bourges qui a gagné… Nan mais vraiment 😳😭😉
Merci pour tes mots Rebecca, toujours directs et sincères. Ton article aujourd'hui résonne particulièrement : je suis en train d'en écrire un sur le travail des amateurices. Reconnaissance des activités non salariées (choisies et pas subies...) pour interroger le ratio temps/intérêt de ce qui remplit nos journées...
Je me reconnais tellement dans tes mots et ton questionnement sur la place et le rôle du travail dans la vie. Simplement merci. Et grande force à toi dans ta nouvelle aventure !