Émerveillement
Votre émerveillement le plus récent, c’était quoi, où, quand ? Quelle sensation ce moment vous a-t-il fait vivre ? Quel sentiment en reste-t-il depuis ?
Je me souviens j’étais une jeune adulte. Avec des amis entassés dans une petite voiture vers une quelconque fête un jour pluvieux. Sur la route, j’aperçois une flaque d’eau immense et qui me semble très belle - je ne sais pourquoi - je dis oh regardez la belle flaque d’eau ! Mes amis, ils avaient bien raison, éclatent de rire Nan mais Rebecca une flaque… allô quoi ! (Ce « allô quoi » est ici une anomalie temporelle… mon anecdote se situe à la fin du siècle dernier).
Cette petite histoire est révélatrice de qui j’étais, qui je suis encore. Je m’émerveille chaque jour. D’une lumière, d’un regard, d’un mouvement, d’un creux dans un mur, d’une herbe dite mauvaise et pourtant si fière colorée dressée en travers de nos chemins, d’un bout de phrase entendu à la volée…
Admiration et surprise à la fois
C’est ce que dit le dictionnaire. L’émerveillement est un sentiment d’admiration et de surprise au même endroit, pour le même objet, dans un même instant.
Quel est votre dernier émerveillement ? Ou quel est l’émerveillement ancien qui reste présent en vous ?
Souvent j’entends qu’il y a quelque chose d’enfantin à s’émerveiller une fois adulte. Sans doute. Mais je crois qu’il y a aussi et peut-être, surtout, un besoin de transformer le réel, trop noir. Le transformer par un regard qui cherche l’éblouissement. Quand il y a trop de lumière, on est ébloui, on ne voit plus réellement ce qui nous entoure les bombes les bombes les bombes les gilets de sauvetage vides les nuits à la rue les violences les grands feux la terre arrachée les nuits caniculaires dont on ne se réveille pas les pleurs à toute heure les larmes d’enfants. L’émerveillement est ce trop plein de lumière, que je provoque, que j’invoque, dont j’ai besoin dans mon quotidien. Serait-ce un antidote à la tristesse qui emplit l’atmosphère de notre planète et coule sur nos épaules les jours de pluie puis s’insinue, par chaque pore, nos peaux tristes ? Un psychotrope puissant pour seule voie d’évasion ? Être adulte pour de vrai est-ce renoncer à l’émerveillement pour affronter le réel ?
Émerveillement et poésie
Je me demande si mon attachement à la poésie ne tient pas tout simplement à cet émerveillement. La poésie par le langage, transfigure, révèle autrement ou autre chose. Une flaque belle est une poésie à naître, un reflet offert à la lune, l’océan pour la feuille d’automne, un passage secret vers l’en-dessous du monde ou l’envers du monde. Il y a là une croyance. Que l’émerveillement, ou la poésie, soit une lumière puissante non pas pour éteindre le réel mais pour voir au travers, au-delà, avoir accès à une réalité qui se touche uniquement avec les mots. Des mots au bout des doigts, leur pulpe de mots, et ainsi caresser le monde le faire tourner sur lui-même en décoller les couches une à une délicatement ou d’un coup sec pour voir ce qu’il y a en-dessous, des couleurs nouvelles en arcs majestueux. De l’espoir en somme.
Pour un état d’émerveillement permanent
Si mon existence devait être un manifeste, ce serait celui-ci « pour un émerveillement permanent ».
J’y expliquerais dans des termes très savants comment il faudrait chaque jour se mettre en état d’émerveillement, comment il faudrait s’entraîner avec de petits exercices 7 min wonder workout serait le nom de l’application que je vendrais en ligne avec des codes de connexion des vidéos des conseils personnalisés des quizz des évaluations hebdomadaires et des goodies à mettre dans son panier un mug des crayons à papier un carnet the daily wonder book avec des consignes précises et en supplément des wonder clubs - parce qu’en anglais c’est plus impactant vous comprenez - des rencontres en lignes pour stimuler l’émerveillement collectif réservés aux abonnements premium. L’émerveillement alors serait rationalisé, mesurable et serait rentable surtout rentable il pourrait même se transformer en licorne puisqu’il transfigure le monde et enfin, alors, je le vendrais et m’endormirais sans rêve,
sans plus rien pour me surprendre puisqu’une flaque aura fait naître un service et une expérience client,
sans plus d’éblouissement car la honte sera ombre immense à toute heure à couvrir mon corps,
sans admiration pour ce que rejette le miroir de ma salle de bain.
Non, non, non. Ne faisons rien de l’émerveillement. Laissons le venir s’enfuir dans une flaque et disparaître dans les briques roses. Laissons-le. Ne laissons pas les mots, surtout ceux qui grattent, se faire dévorer par le monde. Laissons-les. Chérissons-les. Réchauffons-les entre nos paumes, soufflant dessus pour qu’ils s’envolent à nouveau, libres.
Merci à vous de m’avoir lue, d’avoir suivi le chemin sinueux de ma pensée. Je ne sais jamais où peut me conduire un mot qui gratte… et c’est ce que j’aime ici, pouvoir ouvrir un sentier et le laisser se refermer derrière moi.
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C'était ce soir. Après avoir contourné la ville par l'autoroute et avoir suivi la route étroite, elle ne faisait que monter et tourner, et puis une fois perdu, des descentes comme des toboggans, des tournants brusques, les vignes, les murets, et enfin arrivé, garé, il y avait du temps avant d'entrer à l'hôpital. J'ai regardé en bas, j'ai regardé au loin, et dans le vague, j'ai trouvé ma montagne, sa double éminence sur la plaine, l'une plus haute et à la saignée entre les deux, la ligne claire du village. Elle était encore là dans le fond, de l'autre côté de la ville de deux milles ans, empêchant l'horizon. C'est peut-être parce qu'elle est là que je reste ici : à mon âge il n'y a en a pas tellement de choses qui restent.
C'était la nuit, après glissé dans le tunnel et avoir été traversé par des champs magnétiques. Je suis revenu sur la parking. Il était vide, il était sans lumière. J'ai suivi la pente. C'était une autre route encore pour revenir. Soudain, devant, des lumières, en points, en taches, comme une prairie : la ville sans visage, tout entière, devenue tableau, et c'était tout de suite une danse avec une autre image, celle d'un film, où une autre ville, plus vaste et plus jeune, avec si peu de beautés au jour, est découverte dans la nuit ainsi, et la joie du souvenir de ce film, si libre.
Tristan Mat
Mon dernier emerveillement remonte à hier. J'étais dans les sous bois avec mon ami et je m'emerveillais de tous les champignons présents à voix haute " Regarde ! Lui, trop beau ! Et là, tout ce qu'il y a ! C'est fou !
Puis j'ai ri en imaginant quelqu'un me suivre et qu'en m'ecoutant il pense découvrir un superbe coin à champignons... Alors qu'il n'y en avait aucun de comestible 😂
Sinon j'ai beaucoup aimé te suivre dans ton texte, le moment où tu developpes le business de l'émerveillement - on s'y croirait !- pour finalement revenir à la flaque du début 🙂.