Poème
Je pose une question qui m’obsède… et je n’ai toujours pas trouvé la réponse, aidez-moi !
Je suis Rebecca Armstrong et ici les mots grattent. Je les ausculte donc, à main nue et à l’instinct. Vous aussi ça gratte ? L’écriture vous démange ? Rejoignez-moi !
J’écris de la poésie, ça a priori vous le savez déjà. Mon premier livre, un deux trois est disponible ici. Mais je n’ai pas étudié la poésie, pas plus la littérature. Je crois que j’aurai aimé. Comprendre comment des siècles de pages noircies me soufflent sur la nuque tandis que je crois être portée par mon inspiration.
Ces dernières années, lisant de la poésie, plutôt contemporaine, j’ai fait un constat, terrible par non-savoir formel et…
C’est là que ça gratte
Ce constat me dépasse. Il est immense. J’ai tenté de trouver des réponses sur les internets. Rien. Alors c’est vers vous, de chairs, d’os, que je me tourne.
Les textes poétiques contiennent, noir sur blanc, souvent (adverbe de l’empirique analyse qui est la mienne) les mots :
Poésie
Poème
Poète / Poétesse
Comme si la forme poétique - par nature - se plaçait au bord de l’abîme. Comme si la poésie devait - nécessairement - se nommer. Comme si le poème ne tenait - au fond et en forme - qu’avec le soutien de son propre champ lexical. Je. Ne. Sais. Pas.
Le poids de cette question existentielle était trop lourd pour que je continue à la porter seule. Vous voilà à partager mon pétrin. Pour l’occasion et être à la hauteur de la charge de la preuve qui m’incombe, j’ai pioché dans ma bibliothèque1, main hasardeuse, presque tremblante. Tremblante d’imaginer une mise en échec immédiate de ma théorie. Tremblante de voir les mots apparaître non tu n’as pas fantasmé : poésie habite poème et vice-versa.
Poésie américaine, belge, etc (bon ok, j’avoue surtout française tout de même. Tout le monde n’a pas une UmbertEco-bibliothèque). La récurrence est là, soustraction impossible (de moi à l’évidence). Alors comment ? Alors pourquoi ?
La poésie détient un étrange pouvoir
Hypothèse. La poésie détient un étrange pouvoir : le langage est sa seule matière première. Ce n’est pas l’histoire. Ce n’est pas le personnage. Juste le langage, cet ensemble de signes. Ce pouvoir est grand puisque de signes, elle peut faire langue.
Alors peut-être, sur le chemin de cette langue, dépose-t-elle des galets, de petits galets gris comme invitation à la suivre en ces terres inconnues de la langue des histoires. Et pour, elle, ne pas se perdre non plus. Son cap, son sillon, sous ses mots, pas à pas, se reconnaître elle-même. Comme, un langage-miroir.
Hypothèse. Il y a cette phrase de Terrance Hayes au début de l’un de ses textes dans « Sonnets américains pour mon ancien et futur assassin » :
Je te coince dans un sonnet américain, mi-prison,
Mi-pièce sécurisée, une petite pièce dans une maison en feu.
Peut-être la poésie est-elle une maison en feu (bonjour le hors-contexte mais on fait ce qu’on veut). Mots incandescents. Peut-être la poésie, de siècles de pages noircies, a-t-elle longtemps été emprisonnée, coincée dans des sonnets, dans des quatrains, dans des vers, dans des hémistiches, dans des alexandrins. Peut-être la poésie s’est-elle épuisée à force de rimes croisées puis suivies puis embrassées (trop d’histoires d’amour en somme). Peut-être libérée lance-t-elle ses noms - son commun - comme incantations, chant de victoire, chant du vent des siècles à venir, chant autour du feu et ces mots transmis à l’horizon, mémoire des origines.
Hypothèse. C’est rassurant pour la personne qui fait texte des signes du langage à sa disposition. Je n’ai pas rencontré beaucoup de poètes ou poétesses. Mais là aussi, il y a une récurrence. Ces personnes sont habitées par leur langage. Leur haleine (il faut oser s’approcher du poète), leurs mouvements (l’air tremble au contact de la poétesse et tout autour), leurs voix (iels en ont plusieurs, a minima une au bout de chaque doigt). Pour elleux, quelques mots totems maintiendraient un lien invisible entre leur corps et la matérialité de trois mots : poème / poésie / poète-sse.
Trois hypothèses plus tard, qu’en dites-vous ?
Ce que j’aimerais savoir…
Après avoir étudié scrupuleusement mes preuves, théories et hypothèses, quelle est votre analyse du cas poésie ?
Des mots comme amis
Ceci n’est pas une hypothèse mais un aveu. Croiser ces mots, les chercher, les reconnaître, c’est une joie. Découvrir puis lire des auteurices qui font de la poésie leur unique contrée, contrée qu’elles et ils dessinent et inventent et, pourtant, au fil des pages noircies reconnaître ce qui tisse un langage d’amitié, un chemin partagé dans les sous-bois des mondes, ces mots amis, c’est beau. Juste beau. Un sourire s’esquisse.
Je n’aime pas le poème grouille de vers blancs minuscules se nourrissent de lettres putrides pieds en décomposition racines asséchées rimes piquent la gorge le nez puanteurs s’insinuent par les oreilles bouchez-les ! J’aime le poème décom- posé siècles de sédi- ments terres ri- ches langue aux papilles nouvelles invente des pages fleuries mots ou bactéries sols inconnus vivants ! il leur manque croit-on la herse le labour l’intrans non à mains nues pas de coupe rase laisser les strates les ombres la ronce la fleur l’insecte la souche la mousse le battement d’ailes l’arbre (à venir) le bousier le pied bleu l’humus la sève l’écorce la terre fouillée grattée retournée la bête faufilée la proie becs poils duvet nid de tout mêlé entremêlé de vers point.
(Ce texte - Poème -, exhumé, vieux de deux années et quelques souffles de temps)
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