« Sauver son rêve », tel est le titre de ce livre que j’ai aimé. Il a été écrit par Marianne Catzaras, publié aux éditions Bruno Doucey.
J’ai perdu ton nom Aziz Dans les flots Et j’ai nagé moi aussi Dans l’écume Que ton corps a formée J’ai nagé nagé Et mon souffle s’est coupé Ton petit corps maigre Recouvert par les siècles Faisait pâlir les algues Et le rivage lui-même S’est mis à sangloter Sur la carte du monde Ton nom s’est mélangé Aux étoiles Et le passeur Courait dans les marges Les yeux crevés par le compas Du colonisateur qui trace Déplace les arbres et les femmes Les maisons et les hommes
Il commence avec ce texte ce livre. Le décor est posé.
Marianne Catzaras est poète et photographe.
La mer, les corps qu’elle engloutit, est peut-être le personnage principal de ce livre. C’est la Méditerranée. Marianne Catzaras est née en Tunisie et vit à Tunis, ses parents sont grecs. C’est cette mer qui borde son existence.
Leurs yeux collés Sur la rive Ne distinguent Ni l’équipage Ni les embarcations Ni les hurlements De ceux qui n’ont pas d’argent
La mort, indissociable de cette eau prédatrice, est également très présente dans le livre. D’ailleurs j’ai beaucoup aimé comment ces personnages percutent l’acte d’écrire en tant que tel.
La mort la mort tiède S’installe dans mon texte Elle ramasse Elle rattrape Elle brise les nuques une par une Elle ne lâche pas le récit
L’entrelacs se tend entre les corps, le temps, la mer, l’horizon, le livre lui-même.
Et puis nous finirons le livre Pour lequel nous sommes venus Pour lequel nous avons pris des trains Pour lequel nous avons erré D’un texte à un autre Pour lequel nous aurons marché D’un siècle à l’autre
Je vous le disais dans ma dernière lettre, la lecture de ce livre m’a rappelé mon texte Trouble. Loin de moi l’idée de me hisser à la hauteur de cette poétesse. Non, c’est juste ce thème de la traversée. J’explorais de mon côté le moment du choix (non-choix ?), de la décision et puis le sable et puis ce que l’on emmène, presque rien si ce n’est rien. Fille d’un immigré venu en France à 18 ans, cette question du départ, du lieu où être, m’habite en profondeur (bien que lui, n’a pas eu à monter sur une embarcation précaire).
Refermant Sauver son rêve, j’ai eu envie d’écrire à l’autrice, de lui dire combien son écriture m’avait touchée, combien son livre était important. Je ne lui dis pas, je vous le dis. La beauté dans ces pages. La colère dans ces pages. La tristesse dans ces pages.
Autre extrait - audio :
Marianne Catzaras invite Médée et Antigone dans sa poésie, puisant dans ses racines grecques des figures de pouvoir, de résistance et peut-être au-delà d’elles, le destin ?
Avec l’écriture qui s’efface Avec l’écriture qui se froisse Quand l’animal bondira contre le noyer Quand l’homme ventre à terre Donnera à boire Au silence de la sève assise Sur la mémoire du monde
Le rôle du mythe, habiter la mémoire du monde. Avec cet enfant, Aziz, Marianne Catzaras écrit un livre pesant dans l’histoire et l’équilibre du monde, Aziz n’est pas un mythe, il est des milliers, pourtant enfermé dans notre silence.
(Merci à Jean-Marc qui a su avant moi que j’aimerais ce livre)
Merci Rebecca pour ton partage et ta lecture à voix haute. Tu m'as donné très envie de découvrir ce texte de Marianne Catzaras. Très touchant.