Je ne sais pas si je respire bien. Vous savez ces respirations profondes qui libèrent les tensions, qui apaisent l’âme ou l’agitation de l’épiderme. Ces respirations qui accompagnent ou précèdent la méditation. Je ne sais pas si je sais méditer. Je ne sais pas grand chose en réalité. Vous vivez ça aussi, j’imagine ? Chaque jour on apprend plus et ce savoir s’accumulant, réaliser à chaque instant que cette part grandissante est à la fois toujours plus infime. Ce qui nous remplit agrandit l’immensité de qui n’est pas en soi. Les vases communiquant ne fonctionnent pas, ici. Ce vide ce plein, ce va ce vient, ce sac ce ressac, inspirer expirer. Besoin d’apprendre à mieux gérer ce mouvement permanent, parfois asphyxiant.
Je me suis assise sous un arbre
Alors, je me suis assise sous un arbre. Partout où j’allais je prenais le temps d’aller m’abriter sous un arbre. Des arbres et des arbres et dessous mon carnet noir (et moi). J’y suis restée sous ces arbres. J’ai attendu. Puis des mots ce sont mis à respirer. C’est eux que j’ai consigné dans mon carnet. C’est ainsi que mes exercices de respiration poétique ont pris forme, doucement, d’arbres en arbres, de villes en villes, proches et lointaines. Je n’ai pas dressé la carte de ces respirations, ni de ses arbres.
Ces arbres sont devenus l’arbre sont devenus ma main sont devenus des textes sont devenus l’air dans ma gorge sont devenus l’air sur le papier sont devenus un livre sont devenus ma respiration sont devenus des images sont devenus des dessins sont devenus des questions sont devenus un manuscrit.
Je ne sais pas si une respiration peut trouver une éditrice ou un éditeur (je m’y attèle tout doucement: il ne faut pas brusquer une respiration).
Ici, calés contre nos mots qui grattent, entre nous, je me suis dit que vous étiez celles et ceux avec qui partager des extraits1 de respiration. Certaines sont rapides, d’autres sont plus longues. Elles réclament, peut-être, de s’étendre ou d’être adossées à une écorce. Je ne sais pas.
Sous l’arbre
feuilles - transparence - nervures
veines - sève - vertes
ombre de la feuille sur la feuille
ombre de la branche sur la feuille
ombre du nuage sur la feuille
ombre de la feuille sur mon front
Sous l’arbre
ma solitude
avec
toi.
Ma solitude
remplie
de tes
silences.
Ma solitude
allongée sur la nappe.
Ma solitude
de tomates-cerise.
Ma solitude,
ton ombre.
Sous l’arbre
un livre endormi
une respiration
presque
le ronflement d’un rêve naissant
Sous l’arbre
(deux trous sur le côté)
de guerre lasses
les étoiles sont tombées
Sous l’arbre
la route
déchirée
couture entre
vivant et mort
fine abysse
émergent les monstres et les spectres
souvenirs
au-delà
Sous l’arbre
une tombe fleurie
chaque jour à midi
la mort est le métronome
Sous l’arbre
des mots aux mauvaises
longitudes aux mauvaises
latitudes
des mots intranquilles
sables venus de loin dans les poches
périmés hors d’usage
sous vide les mots qu’on regarde
sans rien dire
Sous l’arbre
de bons vivants
d’autres moins
une gare de triage
Sous l’arbre
la morne et le fruit mûr
la tessiture de ton dos qui chante
tu cours
Sous l’arbre
une fresque
du bleu ovale du jaune diagonale du vert désert du rouge plongeon.
Tu dessines tu peins.
Un poisson caresse ton étoile une fleur envole ton miel une fenêtre retient ton paysage.
Ton fruit mûr brandit une éclipse.
C’est ainsi.
Du coton germe sur ton dos tes doigts tubercules dansent ta voix à la forme d’un babafigue.
C’est ainsi.
Dans ta main des chemins nouveaux creusés au piquoir tes cils aux nids d’oiseaux migrateurs tes cheveux à la langue que certains n’entendent.
C’est ainsi,
qu’en chuchotement tu prépares un festin pour demain.
C’est ainsi.
L’enfant à ton sein cueille
fixe ta bouche
tisse
en infimes mouvements
étoffe invisible déposée sur sa peau
un conte pour les futurs
Sous l’arbre
une romance renonce
il fait trop chaud
déjà
au début de l’histoire
Sous l’arbre
Tu es allongée. Le sol n’est pas froid. Tu sens tout.
Contre ton cou des brins d’herbe. Contre ton dos un insecte.
Contre ta peau le soleil.
Tes poignets contre ton ventre se soulèvent alors
tu ouvres les yeux.
Ils se sont ouverts. Doucement les paupières repliées.
Allongée. Sur le sol. Sous le ciel.
Il est loin il est bleu.
Il est mou il est blanc.
Il te touche il s’éloigne. Il file.
Il reste.
Au-dessus d’un corps immobile, le tien. Et l’insecte avance. Comme le ciel sur la terre. Molle comme le ciel. Il fuit d’un côté revient de l’autre. Il tourne au-dessus.
D’un corps allongé.
A force d’être, le ciel devient, tien alors
tu ouvres la bouche.
Elle s’est ouverte. Le ciel entre. Tout entier, le ciel. Un nuage puis l’autre. Le blanc entre le bleu entre l’air entre le vide entre.
Tout entier le vide dans ton corps, devenu ton corps,
devenu le ventre,
devenu le vide.
Tout entier le vide sous l’insecte minuscule.
Tout entier le vide plaqué au sol.
Le vide n’est pas froid.
Ton corps est le vide qui avale
le tout.
Je vous souhaite une semaine trouvant l’arbre où s’abriter.
Extraits picorés dans le manuscrit et non une suite