Je suis Rebecca Armstrong et ici les mots grattent. Je les ausculte donc, à main nue et à l’instinct. Vous aussi ça gratte ? L’écriture vous démange ? Rejoignez-moi !
La pauvreté augmente. S’aggrave. Inquiète. En hausse. Si vous faites une recherche Google, ce sont ces mots que vous verrez s’afficher. Puis vous cliquerez. J’ai cliqué. Il y aura alors des tableaux, des graphiques, des pourcentages, des effets de seuils, des médianes, des millions, des catégorisations, des limites. Je me souviens les sandwichs à l’omelette. Les coupures d’électricité. Les bons CAF pour faire les courses. Les centimes comptés empilés. Le téléphone qu’on n’avait pas à la maison. La honte. Les sacs de courses offerts par les voisins. Souvenir est un mot qui gratte, lui aussi. Les sorties de classe impossibles. La voiture en panne. L’humiliation. Les habits donnés. L’horizon qu’on ne cherchait même pas à regarder, juste nos pieds. Ça, vous ne le verrez pas en cliquant.
[Ici, le 18ème baromètre de la pauvreté du Secours Populaire]
Le transport des pauvres ne s’arrêtera nulle part
Eka Kevanishvili est journaliste et poétesse. Ou l’inverse, il faudrait penser à lui demander. Elle est géorgienne. Je ne connais rien de la Géorgie. Mais la pauvreté en Géorgie ressemble à celle d’ici, je crois.
Je la reconnais la pauvreté quand elle écrit
Les gens étaient assis,
Mains abandonnées sur leurs genoux avec indolence,
Comptaient leur monnaie et n’allaient nulle part.
Parler de pauvreté c’est aussi parler d’amour, souvent ce qu’il reste au fond du porte-monnaie. Eka Kevanishvili en parle beaucoup. Amour de soi La liquidation du passé, d’amour tout court Tout amour finira ainsi, De l’amour éteint…
Ce recueil, le temps de quelques pages, m’a transportée à Tbilissi. Elle l’aime et la déteste cette ville. Moi, j’aime et je déteste la ville de ma pauvreté. Et cette douceur âcre
Cela fait longtemps qu’il lui faut de la neige, à cette ville.
Il doit neiger à Tbilissi !
Car dans la neige nous sommes tous visibles
Cette pauvreté qui tente toujours de se cacher mais elle déborde, alors on veut la rendre invisible quand la ville devient salle de Jeux. Ou lorsqu’elle tente de se reposer, car la pauvreté épuise, la ville s’hérisse.

La Géorgie, dans ces pages, c’est aussi la guerre J’ai connu un homme pendant la guerre éclair et le rapport de l’autrice à son écriture, à ses peurs d’écrire, à ce qu’on arrive à écrire, et tout le reste, comme un écho à ma précédente publication.
Pour vos oreilles
J’ai sélectionné cinq textes, que je vous lis, dans l’ordre d’apparition dans le livre :
Vas-y, il est temps
Les corps sur la plage de Lybie
Le cœur
Une fois, quand j’ai pris le bus jaune
Joli poème
Le transports des pauvres ne s’arrêtera nulle part évoque les violences faites aux femmes, forcément cela m’a profondément touchée. Mais finissons plutôt sur l’universalité d’un amour lorsqu’on lève les yeux.
Le hasard
Dans le ciel de Tbilissi
Un avion
Dépasse l’éclair
Et sauve mon amour
Le transport des pauvres ne s’arrêtera nulle part
Maison d’édition : Les carnets du dessert de lune, collection bilingue « Lua »
Traduction : Maya Katsanashvili
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