Les Tragédies de Sophocle, c’est un recueil de sept pièces1. C’est un livre au rouge vieux de 30 années passées dans ma bibliothèque… et régulièrement à mon chevet.
Sophocle est un homme dit heureux. Famille de la bourgeoisie, éducation qui va avec, entregens de qualitay, vit à l’apogée de la cité d’Athènes, reconnaissance de son génie de son vivant. Bref, la totale. Alors pourquoi son écriture me parle-t-elle tant ??
Mais pourquoi donc ?
Parce que !
Mais encore.
Encore une histoire de triangle2. Dans une tragédie grecque, il y a les personnages, le chœur et le coryphée.
Le coryphée, c’est la voix du chef de chœur. Comme une voix off, interrogeant les scènes qui se déroulent autour d’elle, utilisant un « je » non pas omniscient comme pourrait l’être un narrateur mais plutôt le « je » du témoin de l’entrelacs des personnages emmêlés dans leurs ignorances. Et parfois guidant les personnages vers leur devenir.
Le chœur, ce sont les voix à l’unisson du destin (selon moi !), ces voix qui perçoivent la réalité au-delà du seul instant, celles qui convoquent les valeurs, l’Histoire, les dieux et entrent par moment en dialogue avec les personnages qu’elles surplombent.
Les tragédies tissent une dramaturgie en trois dimensions comme nulle autre : le présent, ses questions, son au-dessus aka le destin… Et c’est puissant.
Lorsque je lis une tragédie de Sophocle, ce sont ces trois dimensions qui me happent, une géométrie de voix qui tonnent sur le malheur humain.
Notre monde n’est-il pas tragique
Sans point d’interrogation. Notre monde est tragique. Hautement tragique. Les scènes qui se déroulent sur nos écrans semblent être des voies sans issue. À coup de commentaires et de questions, nous tentons, grimés en coryphée, de questionner, d’anticiper, de chuchoter aux personnages de choisir l’autre chemin, l’autre porte, l’autre ennemi… Tandis que de puissantes voix détiennent les seuls clés, ou manipulent les fils invisibles accrochés à nos bras, à nos têtes, à nos émotions.
On voudrait s’en libérer ou du moins pouvoir choisir tour à tour d’occuper l’une des trois dimensions qui font le présent. Si Œdipe avait pu être le coryphée et ensuite le chœur il aurait évité ce funeste carrefour, il aurait su que ses belles intentions n’étaient pas suffisantes à déjouer la course de son monde ; verrait-il encore ?
Ne sommes-nous pas aveugles, sans voix, entraînés sur une pente vertigineuse
Sans point d’interrogation. Nous le sommes. Nous y sommes.
Okay, je suis hyper pessimiste aujourd’hui. Vous auriez préféré que je vous parle des farces du Moyen Âge ? Malheureusement elles ne sont pas sur ma table de chevet ! Je suis une joyeuse triste que voulez-vous… telle est ma vérité et ma constante.
Oui, la course du monde de ces derniers mois (et plus) me plonge dans une tristesse profonde. Lorsque l’horizon est noir, il n’existe plus. Il faut fabriquer de nos mains une lumière fût-elle vacillante et fragile. Alors peut-on à nouveau avancer, pas à pas. Écrire peut, je crois, produire une étincelle. Lire, aussi.
Dans l’audio, je vous propose un extrait des Tragédies de Sophocle, j’ai choisi Antigone. C’est la voix du chœur que vous entendez, avec un propos hyper contemporain… J’espère que ça vous donnera envie de découvrir ces textes !
Merci de lire Les Mots grattent
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Sur ce, je vous souhaite une belle semaine !
Les Trachiniennes / Antigone / Ajax / Œdipe Roi / Electre / Philoctète / Œdipe à Colone
Vous l’avez le coup du triangle ? Si ce n’est pas le cas, il faut lire ma publication précédente ! 🤭
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